Un pauv’ papa de banlieue cache un sombre secret, mis à jour lorsqu’il craque face à l’injustice de la société. Avec Bob Odenkirk (Better Call Saul) dans le rôle principal étonnamment Badass.
Le réalisateur Ilya Naishuller nous raconte les coulisses de son thriller qui déménage.
Depuis Hardcore Henry, expérience filmique ultra-violente tournée en caméra subjective, le réalisateur russe Ilya Naishuller s’était écarté des plateaux de tournage pour revenir à la musique avec son groupe de rock indé, Biting Elbows. Le cinéaste fait son come-back avec Nobody, un thriller d’action où Bob Odenkirk (Breaking Bad, Better Call Saul) casse des gueules à tour de bras. Rencontre.
Hardcore Henry est sorti il y a déjà quatre ans. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour tourner votre deuxième film ?
Ilya Naishuller : J’ai signé pour Nobody à l’été 2018. Donc il y a un trou de deux ans dans mon CV, durant lequel j’ai passé beaucoup de temps à écrire. J’ai terminé trois scripts dont je suis très fier, et j’espère pouvoir les tourner un jour. Disons que c’était une période de réflexion, j’avais besoin de comprendre ce que je voulais vraiment et être certain de faire le bon choix. On m’a fait des offres hein, des trucs très intéressants. Mais je ne voulais pas accepter aveuglément de tourner un film avec un plus gros budget, ou quelque chose qui ne me plaisait pas totalement. Vous savez, un film c’est deux ans de votre vie : il faut y croire tous les jours, sinon ça devient compliqué. Je ne suis pas en train de vous dire que c’est le boulot le plus dur au monde, mais il faut s’assurer d’aimer ça tout le temps de la production. L’idée de base de Nobody vient de Bob Odenkirk lui-même, et le script me plaisait beaucoup. Coup de chance, les producteurs étaient intrigués par mon envie de changer légèrement l’histoire pour me l’approprier. C’était une évidence : l’une des rares réunions où je me suis envolé pour Los Angeles avec la conviction qu’il fallait que je fasse le projet. J’aurais été dégoûté si on ne me l’avait pas donné (Rires.) Donc j’ai fait beaucoup d’efforts, j’ai vachement bossé. C’était le bon film, quoi.
La grande surprise de Nobody, c’est Bob Odenkirk en star de film d’action.
Ouais (Rires.)
Un acteur qu’on imaginait mal dans un rôle très physique. Ça vous amusait de jouer avec l’image que les gens ont de lui ?
C’est rigolo. Bob est connu pour Breaking Bad et Better Call Saul. Mais moi je sais qui il est depuis l’émission Mr. Show with Bob and David, que j’adorais. C’est un acteur qui a commencé en tant qu’humoriste. Et le truc avec les humoristes, c’est qu’ils ont toujours un côté sombre. C’est une matière passionnant à utiliser. Bob était prêt à s’entraîner durant six mois pour le rôle, et ensuite le tournage a été décalé pendant un an. Donc il avait un an et demi. Une fois qu’il a été clair qu’il refusait d’avoir une doublure pour les scènes d’action et qu’il voulait s’impliquer physiquement dans le rôle, je n’ai jamais douté que ça allait fonctionner. Je peut-être naïf, mais en lisant le script, j’ai tout de suite imaginé Bob en star de film d’action. Je crois qu’il s’est dit : « Ça y est, c’est ma chance de faire un film comme ça. Putain, il faut que ce soit bien ». Et comme c’était mon opportunité de faire mon premier film américain, il avait intérêt d’assurer !
Bob Odenkirk (Saul Goodman) explique comment il s’est métamorphosé en héros de film d’action
« Je me suis entraîné pendant deux ans avant le tournage. Je savais que j’avais du chemin à faire. J’ai été auteur de comédie pendant 25 ans donc je n’ai quasiment fait aucun exercice de ma vie, »
Odenkirk s’est placé comme objectif de faire tous les combats du film lui-même. Il a passé des centaines d’heures en salle pour travailler les chorégraphies encore et encore jusqu’à les maitriser.
Ce qui ne veut pas dire se tailler un physique à la Chris Hemsworth ou Chris Evans : « On n’a pas essayé de me faire un corps de Super Héros. J’ai l’air d’un papa, un mec normal. Je mange peut-être un peu moins d’hamburger que vous, mais j’en mange toujours. » – Plutôt un physique qui puisse tenir le choc et améliorer son jeu. « J’ai dit, quand ce type est blessé, je veux que la douleur persiste. Trop souvent les gens se font frapper, et c’est oublié rapidement. Je voulais qu’il sente vraiment l’impact du combat et de la violence. »
Mais aussi intense que le régime physique qu’a subit Odekirk, autre chose s’est avéré plus difficile en travaillant sur ce film.
« Le plus dur avec Nobody reste d’avoir été privé de la dimension ironique du jeu d’acteur. Je voulais jouer une sorte de héros de film d’action sincère à la Charles Bronson dans Un Justicier dans la Ville, dans ces films des années 70 avec lesquels j’ai grandit, Clint Eastwood dans Dirty Harry et ces trucs. Et j’ai dû me passer de cette capacité à faire le malin et me moquer de moi-même, » explique-t-il. « C’est difficile pour moi de faire une scène qui soit totalement sincère… Et c’est vrai pour Better Call Saul aussi. Je ne peux pas faire un petit clin d’oeil au spectateur… Quand le personnage sait qu’il est marrant et que je peux le faire, je suis plus dans mon milieu naturel.
Et ainsi avec deux ans d’entraînement et d’exercices rigoureux dans les bras, Bob Odenkirkk est devenu prêt à tourner Nobody. Avec de nombreuses personnes de l’équipe qui a créé John Wick au menu, est-ce qu’on pourra comparer ses combats à cette licence ?
« Franchement, vous allez voir l’ADN de l’auteur de John Wick dans Nobody, mais c’est fondamentalement différent de john Wick, » explique Odenkirk. « Dans mon cas, le personnage et sa propre incapacité à contenir sa frustration et sa rage est ce que provoque le danger autour de lui. La base de l’histoire est plus complexe. »
Le scénariste de Nobody Derek Kolstad est surtout connu pour avoir raconté l’histoire de John Wick, et si le personnage d’Odenkirk est un homme capable d’une grande violence, il semble avoir un background bien différent.
« Derek a pris beaucoup de temps pour concevoir ce personnage de type camouflé en père de famille dans sa banlieue, et il l’a fait avec minutie, c’est pourquoi il est très investie dans cette planque, qu’il fait tenir depuis longtemps. Il y a tout ce pan d’histoire racontée où ce type lutte avec lui-même, » raconte Odenkirk; « Une fois qu’il se laisse aller, il provoque toute la violence du film. Nous voulions dérouler toute cette rage systématique que le personnage ressent. »
Ce n’est pas une situation totalement nouvelle pour l’habitué des comédies. Au final, chorégraphier une scène de combat ressemble beaucoup aux pools de scénaristes au sein desquels Oderkirk a passé le plus clair de sa carrière.
« J’ai été surpris par le niveau de familiarité que j’ai ressenti en jouant ces scènes de combat, à quel point cela me rappelait les auteurs de Mr. Show, ou de Saturday Night Live quand j’y étais, » se souvient-il. « Ca veut dire de mettre un tas de gens dans une pièce, de régler un problème, dans le cas de la comédie, c’est d’écrire une idée de sketch… Travailler ensemble et trouver des solutions, qui repoussent les possibilités et qui sont intelligentes. Et c’était incroyable que ça soit aussi proche que d’être un auteur de comédie à nouveau. On le fait, et le réalisateur dit ‘coupez’, et tout le monde se marre. »